NUTRITION ARTIFICIELLE

NUTRITION ARTIFICIELLE
NUTRITION ARTIFICIELLE

Moins connue que l’hémodialyse, les greffes d’organe ou l’implantation de stimulateurs cardiaques, la nutrition artificielle – mieux nommée encore assistance nutritive – n’en est pas moins à mettre au tableau d’honneur des acquis thérapeutiques de ces toutes dernières années. Elle permet, chez l’adulte comme chez l’enfant, de suppléer un intestin défaillant, de mettre au repos un intestin inflammatoire, de corriger une dénutrition sévère chez un malade ne pouvant ou ne voulant plus s’alimenter, soit du fait d’une affection grave, soit du fait d’un traitement lourd. Sa durée peut s’étaler de trois à quatre semaines à plusieurs mois ou années. Selon les cas, la nutrition artificielle sera effectuée par la voie digestive (nutrition entérale) ou par la voie veineuse (nutrition parentérale). Toujours mise en route en milieu hospitalier, la nutrition artificielle peut maintenant être continuée à domicile dans les cas nécessitant un traitement très prolongé.

Entérale ou parentérale, la nutrition artificielle a pour principe de base l’apport de tous les nutriments nécessaires à la vie (sucres, graisses, protéines, minéraux, oligo-éléments, vitamines) que le sujet ne peut plus prendre par la voie orale habituelle. Les exemples suivants illustrent trois situations conduisant à l’usage de la nutrition artificielle, qui permet la survie, souvent le rétablissement de la fonction perdue et parfois la guérison.

«Chez un homme de trente-neuf ans opéré à trois reprises du tube digestif, l’intestin grêle restant et le colon sont atteints, dans leur totalité, d’une grave maladie inflammatoire (maladie de Crohn): toute nouvelle opération est contre-indiquée. L’absorption intestinale des aliments est très diminuée, l’état général se détériore chaque jour et l’amaigrissement a été de 20 kilogrammes au cours des derniers mois. Un nouveau traitement médicamenteux, récemment mis en route, ne portera ses fruits que dans quatre à six mois. Pour surmonter cette période critique, la nutrition parentérale prolongée est le traitement de choix.»

«Chez une femme de cinquante-trois ans, une grave opération, motivée par l’infarcissement subit de l’intestin grêle, a conduit à l’ablation des quatre cinquièmes de cet organe. Il faut attendre six mois pour que l’intestin grêle restant s’hypertrophie et compense, au moins partiellement, la fonction de l’intestin enlevé. Pour attendre cette adaptation fonctionnelle et même l’accélérer, la nutrition artificielle par voie parentérale puis entérale est le traitement de choix.»

«Un homme de cinquante-cinq ans, atteint d’une forme grave mais non dépassée de cancer, ne peut plus s’alimenter: il a perdu l’appétit et 15 kilogrammes en trois mois. Son état de faiblesse rend hasardeuse l’application du traitement (intervention chirurgicale et radiothérapie) que justifierait pourtant la tumeur avec de bonnes chances de guérison. La nutrition artificielle par voie digestive est encore là le traitement indiqué.»

L’évaluation de l’état nutritionnel est, parallèlement à celle de la maladie causale, nécessaire avant la mise en route de la nutrition artificielle, car elle permet d’en définir le niveau énergétique initial, sa progression et sa durée. Les méthodes cliniques et biologiques d’évaluation de l’état nutritionnel ont été définies dans le chapitre «Nutrition humaine». Plus la dénutrition initiale est sévère, plus l’apport protéino-énergétique devra être progressif avant d’atteindre un plateau, en une à trois semaines. La liste des macronutriments et micronutriments devant être apportés par la nutrition artificielle est donnée dans le tableau 1. Les deux variables principales sont l’apport énergétique et l’apport en protéines: l’apport énergétique moyen est, chez l’adulte en phase d’équilibre de la nutrition, de 30 à 40 kilocalories par kilogramme de poids et par 24 heures; l’apport protéique moyen est, chez l’adulte, de 150 à 300 milligrammes par kilogramme de poids et par 24 heures, le rapport calorico-azoté étant de 150 à 200 kilocalories par gramme d’azote apporté.

Nutrition artificielle par voie digestive: nutrition entérale

La nutrition entérale est la voie la plus simple et la plus physiologique d’assistance nutritive. Le lieu de délivrance (fig. 1) est en général intragastrique, à l’aide d’une sonde introduite par voie nasale, dont la souplesse (élastomère de silicone) et le petit calibre assurent une parfaite tolérance. L’instillation directement dans l’estomac (par une sonde de gastrostomie) ou dans l’intestin grêle (par une sonde chirurgicale de jéjunostomie) est nécessaire lorsque la partie haute du tube digestif n’est pas perméable (fig. 1). Une nutrition entérale efficace et bien tolérée implique deux principes techniques fondamentaux: la lenteur (de 1 à 3 ml/min) et le caractère continu (de 12 h à 24 h par jour) de l’instillation alimentaire. L’usage d’une pompe assurant la régulation du début est habituel: la perfusion des nutriments par simple gravité est possible, lorsqu’une pompe d’infusion n’est pas disponible. Les aliments utilisés peuvent être élémentaires, c’est-à-dire prédigérés (acides aminés, monosaccharides), en cas de lésions intestinales étendues compromettant les fonctions d’absorption. Lorsque l’intestin grêle est encore fonctionnel, une alimentation semi-élémentaire, composée de nutriments moins dégradés (extraits de protéines totales du lait, poudres sucrées à haute teneur en polyglucose, graisses à chaîne moyenne), voire non dégradés, peut être utilisée. Minéraux, oligo-éléments et vitamines sont systématiquement et quotidiennement ajoutés. Les aliments utilisés en nutrition entérale sont habituellement dépourvus de résidus et absorbés sur toute la hauteur de l’intestin grêle: le colon est «mis au repos». Les nutriments sont préparés, mélangés et conservés dans des conditions de stricte propreté en cas de préparation artisanale, voire d’asepsie en cas de préparation industrielle. L’usage d’un système d’agitation des mélanges nutritifs est utile pour maintenir leur parfaite homogénéité, en nutrition entérale classique chez le malade alité. Mais la nutrition entérale ambulatoire qui ne maintient plus le malade au lit constitue un progrès décisif: elle peut être réalisée précocement dès les premiers jours d’hospitalisation, chez les malades ayant un minimum de mobilité. En effet, en cas de maladie digestive étendue, la nécessaire lenteur du débit d’instillation implique une nutrition pratiquement continue sur 24 heures: l’usage de pompes portatives et de gilets spéciaux recevant les nutriments et les tubulures permet, pendant la journée, une mobilité complète qui a transformé la tolérance des adultes et des enfants à l’hospitalisation et au traitement. L’activité musculaire progressivement croissante à la faveur de l’amélioration de l’état nutritionnel a, à son tour, un effet bénéfique sur le métabolisme, rompant ainsi le cercle vicieux «immobilisation-fonte musculaire». La nutrition ambulatoire à l’hôpital puis à domicile n’est, bien sûr, utilisable que chez des malades conscients ayant gardé une certaine autonomie physique; les malades de réanimation ou les grands brûlés, lorsqu’ils nécessitent une nutrition entérale, continuent à être traités par la technique classique non ambulatoire.

Chez l’adulte, les indications à la nutrition par voie digestive peuvent être classées en deux grands types:

a ) mise au repos de lésions organiques graves de la partie inférieure de l’intestin (segment inférieur de l’intestin grêle, colon, rectum) telles que la maladie de Crohn, la rectocolite hémorragique en poussée grave, les fistules digestives basses;

b ) traitement d’une dénutrition sévère non corrigible par voie orale, chez les sujets dont la fonction du grêle supérieur est conservée et qui sont porteurs d’affections graves, digestives ou extradigestives.

Affections digestives : pancréatites chroniques, suites opératoires de péritonites, de sigmoïdites suppurées, de résections du grêle inférieur, préparation à la chirurgie colique ou ano-rectale, cancers digestifs non sténosants en cours de traitement lourd (radiothérapie, chimiothérapie).

Affections extradigestives : brûlures ou dermatoses bulleuses ou nécrosantes étendues, états d’hypercatabolisme au cours des agressions sévères (réanimation respiratoire, neurologique, infections graves, tétanos), anorexie mentale, dénutrition associée à la corticothérapie prolongée, à la chimiothérapie ou à la radiothérapie des cancers extradigestifs, maladies neurologiques ou rénales chroniques avec malnutrition sévère.

Les complications de la nutrition entérale sont exceptionnelles lorsqu’elle est effectuée par une équipe médicale et soignante entraînée et régulièrement recyclée: les infections qui pourraient être transmises par la sonde ou les nutriments sont évitées grâce à la préparation des solutions nutritives dans des conditions aseptiques ou dans une chaîne alimentaire propre; le reflux du contenu gastrique dans les voies respiratoires ou les occlusions intestinales ne doivent guère s’observer, lorsque les indications sont bien posées: les complications du reflux gastro-œsophagien sont prévenues par des postures appropriées (position demi-assise ou nutrition totalement ambulatoire dans la journée). La malposition de la sonde, initiale ou secondaire, est prévenue par une vérification radiologique périodique. Les contre-indications à la nutrition par voie digestive sont les occlusions et les rétrécissements de l’intestin grêle et du colon; ablation chirurgicale complète de l’intestin grêle, et l’atteinte de la totalité du grêle par une maladie inflammatoire (maladie de Crohn) ou immunologique (maladie cœliaque) doit faire préférer, dans les formes graves, la nutrition parentérale à la nutrition entérale.

Chez l’enfant, la nutrition entérale à débit constant a, d’une part, des indications médicales similaires à celles de l’adulte, et, d’autre part, des indications spécifiques (alimentation de certains prématurés, pathologie néonatale, maladies métaboliques telles que certaines glycogénoses, les hyperinsulinismes, certaines amino-acidopathies, maladies rénales graves et congénitales). Un des résultats essentiels et spectaculaires de la nutrition entérale est la reprise de la croissance, clignotant très sensible de la correction de la dénutrition protéino-énergétique. Chez l’enfant et le nourrisson, les risques infectieux de la nutrition entérale sont majorés et justifient la préparation rigoureusement aseptique des mélanges nutritifs par un personnel spécialisé.

Nutrition artificielle par voie veineuse: nutrition parentérale

Indiquée lorsque la nutrition orale et entérale est impossible, la nutrition parentérale constitue un véritable «intestin artificiel» permettant de suppléer de façon transitoire ou parfois très prolongée la fonction d’un intestin grêle défaillant ou absent.

Le concept même de nutrition veineuse peut être retrouvé dans les documents les plus anciens: pour Galien (Cor., IV, 7), «toutes les parties du corps tirent leur nourriture des veines qui naissent de la veine cave; celle-ci la puise dans les veines du foie, qui la tirent, elles, des veines qui vont aux portes du foie, ces veines-là prennent à l’estomac et aux intestins, enfin, vu qu’aucune partie ne peut fournir de nourriture à l’estomac, l’animal doit remplir ce viscère de matériaux tirés du dehors. L’homme prend ses aliments au moment où l’estomac en éprouve le besoin»... La première notion d’infusion intraveineuse remonte à 1656 lorsque sir Christopher Wren étudiait expérimentalement les effets de l’injection de nutriments et de médicaments dans les veines de chiens. Les premières administrations parentérales de nutriments énergétiques chez l’homme datent de la fin du XIXe siècle. Mais il y a loin de la simple perfusion veineuse périphérique de sucre, de sel, d’hydrolysat de protéines ou même de lipides pendant quelques jours aux techniques actuelles de nutrition parentérale prolongée à l’hôpital ou à domicile. Les progrès récents concernent la sécurité technique de délivrance des nutriments, la meilleure connaissance du métabolisme protéino-énergétique du malade en assistance nutritive, l’amélioration de la qualité de vie des patients grâce à la nutrition parentérale nocturne et au traitement à domicile des sujets candidats à une nutrition de très longue durée.

L’apport des nutriments se fait, dans la grande majorité des cas, dans le réseau veineux profond: la nutrition veineuse périphérique est nécessairement de durée limitée. Le site le plus utilisé est la terminaison de la veine cave supérieure, à sa jonction avec l’oreillette droite: pour ce faire, un cathéter souple (en élastomère de silicone) et de petit calibre (donc parfaitement toléré par la paroi veineuse) est introduit, sous anesthésie locale ou générale et avec une asepsie chirurgicale rigoureuse, par une veine de la base du cou ou par une veine sous-clavière, et est poussé vers la veine cave (fig. 2). L’entrée veineuse du cathéter est protégée du contact extérieur (donc de l’infection) par un trajet sous-cutané qui l’amène, généralement, de la base du cou à la partie moyenne du thorax où il ressort sous la peau. Au cathéter traditionnel peut être préféré un système d’accès veineux totalement implantable, c’est-à-dire un cathéter siliconé à implantation jugulaire interne relié à une chambre totalement implatable fixée dans le tissu cellulaire sous-cutané, à l’aponévrose du grand pectoral. La chambre implantable peut être ponctionnée par voie percutanée tout en conservant son étanchéité (chambre limitée à son pôle supérieur par une membrane en silicone perforable, mais auto-obturable). Enfin, une communication (fistule) dans le système vasculaire périphérique entre une artère et une veine, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une prothèse permet d’obtenir chez l’enfant d’intéressants résultats, et est proche de celle qui est utilisée en hémodialyse.

Apports nutritionnels en nutrition parentérale

La mise en route d’une nutrition parentérale implique une bonne connaissance des aspects qualitatifs et quantitatifs des apports en matière de nutriments énergétiques, azote, minéraux, vitamines, électrolytes et oligo-éléments.

Nutriments énergétiques . Ils sont représentés par les glucides et les lipides. Les calories protéiques, considérées comme plastiques, ne sont pas classiquement comptabilisées dans l’apport calorique global. Pour les glucides, le sucre de choix est le glucose, aussi bien chez l’adulte que chez l’enfant: l’apport idéal représente entre 50 et 60 p. 100 de l’apport calorique global et se situe entre 5 et 10 grammes par kilogramme de poids et par 24 heures pour l’adulte. Afin de réduire les volumes, les solutions glucidiques utilisées sont hypertoniques à 20 ou 30 p. 100 de glucose. Pour les graisses, l’apport régulier et quotidien est maintenant largement admis, sous forme d’émulsion d’huile de soja et de phospholipides de jaune d’œuf. Cet apport lipidique régulier a les intérêts suivants: apport calorique élevé sous un faible volume, prévention des carences en acides gras essentiels (l’émulsion d’huile de soja contient 50 p. 100 d’acide linoléique, dont l’apport quotidien idéal doit représenter de 2 à 3 p. 100 des calories non protéiques), prévention de la surcharge graisseuse du foie et de l’élévation sanguine du taux de certaines graisses (triglycérides), prévention des troubles respiratoires chez les malades en réanimation grâce à la diminution de l’apport glucidique, devenir métabolique très proche de celui des chylomicrons (qui sont le mode de transport métabolique normal des lipides après leur absorption intestinale). L’apport quotidien de graisses (de 50 à 100 grammes par 24 heures) doit représenter de 40 à 50 p. 100 de la ration calorique globale.

Azote . L’apport azoté se fait sous forme d’hydrolysats de protéines ou, mieux, de solutions d’acides aminés préparées industriellement: chez l’adulte et chez l’enfant, l’apport azoté doit être, respectivement, de 150 à 300 et de 250 à 500 milligrammes par kilogramme de poids et par 24 heures, pour couvrir le métabolisme de réparation tissulaire, la reconstruction des masses maigres, le redémarrage de la croissance. Qualitativement, l’apport en acides aminés essentiels (isoleucine, leucine, lysine, méthionine, phénylalanine, thréonine, tryptophane, valine) et semi-essentiels, surtout sous forme L, doit représenter 45 p. 100 des acides aminés totaux.

Eau , électrolytes , micronutriments . L’apport hydrique quotidien tient compte de l’apport calorique global et des pertes notamment digestives. Parmi les minéraux, les besoins en phosphore, impliqués dans le métabolisme gluco-aminé, doivent être satisfaits, pour prévenir les risques d’hypophosphorémie: l’apport minimal est de 0,20 millimol par milligramme de poids. Pour les vitamines, les besoins, parfaitement définis, sont supérieurs aux besoins minimaux de l’adulte normal, du fait des carences multiples, souvent latentes, présentées par les malades en début de nutrition. Une grande attention doit être apportée à l’addition des vitamines dans les mélanges nutritifs, pour éviter leur rapide dégradation. Parmi les oligo-éléments, le zinc joue un rôle essentiel en nutrition parentérale. Les apports quotidiens (de 5 à 20 mg) peuvent être largement supérieurs aux besoins normaux, du fait des pertes digestives (diarrhée ou fistules).

Bases techniques de la nutrition parentérale

Elles concernent la préparation des solutions nutritives, le branchement-débranchement ou l’obturation intermittente de la ligne nutritive, l’hygiène hospitalière du malade et de l’équipe de soins.

La préparation et le mélange des nutriments est effectuée, en pharmacie hospitalière, dans des conditions d’asepsie rigoureuse, c’est-à-dire sous hotte à flux laminaire délivrant un air pratiquement débarrassé de ses germes. Toute injection ou apport extérieur, quel qu’il soit, au niveau de la poche nutritive ou de la ligne nutritive doit être proscrite, après leur préparation. Le contenant des mélanges nutritifs est une poche à usage unique, le plus souvent en éthylène-vinyl-acétate qui est un composé d’une grande pureté chimique et inerte.

Le branchement-débranchement de la ligne nutritive est un temps essentiel, quotidien, du renouvellement des nutriments, mais les manipulations de la ligne nutritive sont une source potentielle d’infection. Les manœuvres quotidiennes doivent donc obéir à un rituel (bavette, gants stériles), d’où toute faute d’asepsie est proscrite. Les principes élémentaires d’hygiène hospitalière sont essentiels à connaître pour réduire le risque infectieux. Ils tiennent leur efficacité moins de leur originalité que de leur strict respect et impliquent, pour le malade, l’incitation à une hygiène corporelle soigneuse et continue; pour les locaux, le nettoyage par dépoussiérage mécanique humide, la rupture des circuits septiques (circuit du linge, des chariots), la désinfection intermittente systématique des locaux, surtout en période chaude; pour le personnel, le respect des règles élémentaires d’hygiène dans le port des blouses, dans la séparation chronologique entre les gestes appliqués aux malades en nutrition parentérale et ceux qui sont appliqués aux malades conventionnels.

Durée et modalités d’administration de la nutrition parentérale

La durée de la délivrance des nutriments est classiquement de 24 heures (nutrition parentérale continue); l’utilisation de certains systèmes portatifs (pompe, poche nutritive) peut permettre de rendre le malade ambulatoire, mais l’encombrement et les problèmes techniques liés à ce matériel ne sont pas négligeables. C’est pourquoi la nutrition parentérale discontinue (encore appelée cyclique) est un progrès essentiel. Elle est effectuée sur 12 heures, en général nocturnes, le cathéter étant, chaque matin vers 8 heures, débranché du mélange nutritif, puis obturé de façon stérile et étanche, enfin remis en circuit le soir vers 20 heures avec le mélange nutritif. L’obturation du cathéter dans la journée permet une mobilité complète qui a transformé la tolérance du malade au traitement et à l’hospitalisation. Dès les premiers jours, les sujets atteints d’affections digestives graves peuvent se lever, faire leur toilette (douche ou bain, grâce à l’étanchéité parfaite des pansements appliqués sur l’orifice obturé du cathéter), se déplacer. Au bout de quelques jours, ils peuvent vaquer à diverses activités culturelles ou professionnelles. La notion d’activité physique chez le malade hospitalisé, trop souvent négligée par le passé, est essentielle, chez l’adulte comme chez l’enfant: elle n’a pas seulement un effet bénéfique sur le plan psychologique, mais améliore l’utilisation des nutriments grâce à la contraction musculaire et à une meilleure consommation d’oxygène. La nutrition discontinue n’entraîne pas de surcharge en eau: les malades peuvent dormir normalement sans être gênés par un besoin fréquent d’uriner.

Indications médicales à la nutrition parentérale

Essentiellement représentées par des maladies graves, cancéreuses ou non cancéreuses du tube digestif, ne pouvant être traitées par nutrition entérale, elles sont résumées dans le tableau 2 pour l’adulte, et dans le tableau 3 pour l’enfant. Ces tableaux appellent trois types de remarques:

– il convient de distinguer nutrition parentérale prolongée à l’hôpital et nutrition à domicile (cf. infra ), car cette dernière technique, pour aussi spectaculaire qu’elle soit, ne s’applique qu’à un petit nombre de malades, et exige, pour sa mise en œuvre, leur formation par une équipe spécialisée en nutrition parentérale discontinue à l’hôpital;

– chez les malades cancéreux, il n’est guère possible de confondre nutrition parentérale prolongée et acharnement thérapeutique si l’on a à l’esprit que la nutrition parentérale prolongée s’adresse à un malade à un stade non dépassé de son affection, qu’elle n’est indiquée que lorsque la localisation du cancer ou ses conséquences sur les fonctions d’absorption rendent impossible l’usage de la nutrition entérale, que l’amélioration de l’état nutritionnel des malades cancéreux est d’une grande importance pour leur faire tolérer la totalité des traitements lourds (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) dont ils peuvent avoir besoin;

– enfin, les maladies du colon ne constituent pas une indication à la nutrition parentérale de première intention, contrairement aux maladies graves de l’intestin grêle.

Complications de la nutrition parentérale

Les complications principales de la nutrition parentérale sont infectieuses , mais ne concernent que de 3 à 8 p. 100 des cathéters, dans les équipes entraînées et spécialisées: la porte d’entrée est presque toujours cutanée. Les complications mécaniques , notamment l’obstruction du cathéter par un caillot, sont devenues exceptionnelles grâce à l’injection d’héparine avant chaque branchement et débranchement. L’occlusion progressive du cathéter par des dépôts organo-minéraux peut être évitée par la perfusion séparée des lipides. Les complications métaboliques s’observent, à court terme, en cas d’excès d’apport calorique (surcharge graisseuse du foie et augmentation du taux sanguin des triglycérides par excès d’apport glucidique et insuffisance d’apport lipidique); à moyen terme, les carences en vitamines, oligo-éléments – notamment le zinc –, en phosphore et en acides gras essentiels peuvent être systématiquement prévenus grâce à une bonne connaissance des besoins qualitatifs et quantitatifs. Les complications hépatiques et les jaunisses se voient dans 5 à 10 p. 100 des cas et sont régressives à la diminution de l’apport calorique ou à l’arrêt de la nutrition parentérale. À long terme, des complications osseuses marquées par des douleurs et des troubles biologiques avec hypercalcémie et hypercalciurie ont été décrites mais restent rares; des complications d’ordre psychologique se voient surtout en cas de persistance des symptômes digestifs motivant la nutrition parentérale, en cas d’impossibilité totale d’alimentation orale, ou de survenue de complications. Chaque fois que possible, la nutrition parentérale devrait être associée à de petits apports digestifs, même si ceux-ci n’aboutissent à aucune absorption intestinale. La nutrition parentérale exclusive est réservée aux cas où tout apport oral est mécaniquement impossible du fait d’un rétrécissement ou d’une obstruction non opérable du tube digestif.

Durée de l’assistance nutritive: nutrition à l’hôpital et nutrition à domicile

Pour atteindre ses objectifs, l’assistance nutritive aura une durée de quelques semaines à plusieurs mois. Chez la plupart des malades, elle est de deux mois en moyenne. L’activité physique permise par la nutrition ambulatoire, par voie digestive (nutrition entérale continue ambulatoire) ou extradigestive (nutrition parentérale cyclique), a spectaculairement amélioré la tolérance aux longues journées d’hospitalisation. La nutrition entérale à domicile est réalisée depuis plusieurs années chez l’enfant, et maintenant chez l’adulte. La nutrition parentérale à domicile est réservée à un petit nombre de patients, enfants ou adultes, porteurs d’affections digestives graves (résection très étendue de l’intestin grêle, maladie de Crohn ou fistules étagées de l’intestin grêle, séquelles intestinales de l’irradiation abdomino-pelvienne pour cancer, troubles chroniques de la motricité par anomalies nerveuses de l’intestin grêle), et destinés à une assistance nutritive prolongée. La nutrition parentérale à domicile a été officiellement reconnue en France en 1984, par l’agrément de plusieurs services hospitaliers, hautement spécialisés en assistance nutritive, à la formation des malades. Au classement des indications selon le diagnostic (maladies digestives uniquement) il faut ajouter, maintenant, un classement selon la durée de la nutrition à domicile: soit nutrition parentérale de longue durée, définitive ou quasi définitive, réalisant un véritable intestin artificiel, chez des sujets ayant très peu ou pas d’espoir d’une réhabilitation nutritionnelle orale; soit nutrition prolongée mais transitoire (de 2 à 6 mois) pour maladie de Crohn en poussée, ou pour attente d’adaptation intestinale dans un syndrome du grêle court. L’augmentation des indications du deuxième type est souhaitable, dans la mesure où elles diminuent les contraintes hospitalières, humanisent les soins et responsabilisent le malade tout en réduisant les coûts. Techniquement, la nutrition parentérale à domicile utilise la méthode discontinue, nocturne, permettant au malade d’être entièrement libre de ses mouvements dans la journée. Elle suppose une éducation du malade, lors d’une nutrition parentérale hospitalière, par une équipe médico-soignante entraînée. Le suivi du malade est assuré par le service spécialisé et par le médecin traitant, et son approvisionnement en poches nutritives par la pharmacie hospitalière compétente dans leur préparation. Les complications de la nutrition parentérale à domicile sont rares, grâce à la compétence et à la spécialisation des équipes dans la formation des malades: ce sont les complications infectieuses mécaniques ou métaboliques de la nutrition parentérale prolongée (citées précédemment). L’intérêt majeur de la nutrition parentérale à domicile est d’avoir transformé le pronostic des malades «sans intestin grêle» fonctionnel ou anatomique. Grâce à elle, la réinsertion dans le milieu familial, professionnel ou scolaire marque un progrès décisif, analogue à celui qu’on observe avec l’hémodialyse à domicile. Autrefois condamnés à rester en milieu hospitalier, les malades retrouvent un confort de vie et une tolérance psychologique optimale. L’intérêt concerne aussi l’hôpital et les coûts de la santé, puisque la nutrition à domicile réduit de 70 p. 100 les dépenses occasionnées par la nutrition parentérale à l’hôpital. Néanmoins, des conditions psychologiques socio-économiques et familiales très strictes sont nécessaires pour permettre cette technique à domicile. Les contre-indications sont une sénilité accentuée, une affection psychiatrique grave, l’impossibilité d’apprendre les techniques de nutrition parentérale après trois semaines à un mois d’entraînement hospitalier, l’absence de support socio-familial. La transplantation de l’intestin grêle, qui n’en est encore qu’à ses balbutiements chez l’homme, constituera, sans nul doute, un acquis thérapeutique de ces prochaines années, et récompensera de leurs efforts des malades ayant reçu une nutrition parentérale à domicile très prolongée pour résection totale de l’intestin grêle.

Goût, appétit et fonctions digestives pendant et après la nutrition artificielle: «la réadaptation alimentaire»

Les mécanismes de contrôle de la satiété se situent au niveau de la bouche, de l’estomac, où interviennent des facteurs nerveux (distension gastrique agissant sur des récepteurs vagaux de la paroi) et hormonaux (somatostatine et bombésine) de contrôle de la satiété, et au niveau de l’intestin grêle où une hormone, la cholécystokinine, semble jouer un rôle essentiel. En dehors du tube digestif, d’autres mécanismes de satiété interviennent après l’absorption des aliments; ils siègent dans le foie, le tissu graisseux périphérique et le cerveau, et sont corrélés au débit d’utilisation périphérique du glucose. Leur rôle physiologique et leur importance, par rapport aux mécanismes digestifs, ne sont pas encore parfaitement connus. Au cours de la nutrition artificielle, de nombreux malades se montrent inquiets ou curieux du devenir de leur appétit, de leur goût et de certaines de leurs fonctions digestives. En fait, un petit nombre d’entre eux seulement (de 10 à 15 p. 100) éprouvent à certains moments de la journée la sensation de faim, surtout à la vue des aliments, malgré un apport protéino-énergétique quantitativement et qualitativement adapté. On sait, maintenant, que la nutrition artificielle prolongée n’a pas d’effet nocif sur les centres de la satiété, ni sur les centres de la soif, si l’équilibre nutritionnel et hydro-électrolytique est bien contrôlé.

La réadaptation alimentaire, après une phase prolongée de nutrition artificielle entérale ou parentérale, est un motif fréquent d’angoisse pour les malades. En fait, elle ne pose guère de problème: la reprise de l’alimentation orale se passe toujours très bien, à condition qu’elle soit effectuée progressivement (en 2 à 4 jours) et que la maladie initiale ait été contrôlée. Contrairement à ce qui est observé chez l’animal, ne survient pas chez l’homme d’atrophie notable des muqueuses digestives après nutrition parentérale même très prolongée.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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